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Quand le Superflu devient chose très nécessaire…ou réflexions autour de deux arrêts d’Assemblée Plénière – Monsieur le Bâtonnier Patrick CUMIN

Ø « Attendu qu’il incombe au demandeur de présenter dès l’instance relative à la première demande l’ensemble des moyens qu’il estime de nature à fonder celle-ci ».

C’est en ces termes lapidaires que dans son arrêt d’Assemblée Plénière du 7 juillet 2006, la Cour de Cassation a procédé à l’abrogation –partielle- de l’article 1351 du Code Civil, dont la rédaction n’a pourtant pas changé d’un iota depuis la promulgation du Code Civil.

Les faits étaient très simples : un sieur X… avait assigné son frère en se prétendant titulaire d’une créance de salaire différé sur la succession de son père ; débouté au motif que son activité n’avait pas été exercée au sein d’une exploitation agricole, il avait repris sa demande sur le fondement de l’action « de in rem verso ».

La recevabilité de cette nouvelle instance semblait indiscutable, puisque reposant sur une cause juridique différente.

Et pourtant la Cour suprême a estimé « qu’ayant constaté que, comme la demande originaire, la demande dont elle était saisie, formée entre les mêmes parties, tendait à obtenir paiement d’une somme d’argent à titre de rémunération d’un travail prétendument effectué sans contrepartie financière, la Cour d’Appel en a exactement déduit que X… ne pouvait être admis à contester l’identité de cause des deux demandes en invoquant un fondement juridique qu’il s’était abstenu de soulever précédemment jugé relativement à la même contestation ».

Exit ainsi la fameuse triple identité d’objet, de cause et de parties.

Et ce qui est valable pour le demandeur l’est aussi pour le défendeur, comme l’a rappelé la Chambre Commerciale dans un arrêt du 20 février 2007 :

« Il incombe aux parties de présenter dès l’instance initiale l’ensemble des moyens qu’elles estiment de nature, soit à fonder la demande, soit à justifier son rejet total ou partiel ».

Quant à la 2e Chambre Civile, elle a, dans un arrêt du 25 octobre 2007, tiré de ce nouveau principe de concentration des moyens une conséquence pour le moins inattendue dans les circonstances de fait suivantes : un médecin avait été poursuivi devant une juridiction répressive pour blessures involontaires, mais il avait été relaxé et la partie civile déboutée. Cette dernière avait alors saisi la juridiction civile d’une nouvelle action en indemnisation fondée sur la responsabilité contractuelle du médecin. Une Cour d’Appel lui avait donné satisfaction et notamment écarté la fin de non recevoir tirée de l’autorité de la chose jugée soulevée par la partie adverse en retenant que la juridiction pénale n’avait statué que sur la responsabilité délictuelle du médecin.

L’arrêt est cassé en ces termes :

« Qu’en statuant ainsi alors qu’il incombe au demandeur de présenter dès l’instance relative à la première demande l’ensemble des moyens qu’il estime de nature à fonder celle-ci et qu’elle constatait que, comme la demande originaire, la demande dont elle était saisie, formée entre les mêmes parties, tendait à l’indemnisation des préjudices résultant de l’intervention médicale, la Cour d’Appel a violé le texte sus-visé (art. 1351 du Code Civil ».

La portée de cette décision doit s’apprécier à l’aune des dispositions spécifiques de l’article 470-1 du Code de Procédure Pénale :

« Le Tribunal saisi, à l’initiative du Ministère public ou sur renvoi d’une juridiction d’instruction, de poursuites exercées pour une infraction non intentionnelle au sens des 2e, 3e et 4e alinéas de l’article 121-3 du Code Pénal, et qui prononce une relaxe demeure compétent, sur la demande de la partie civile ou de son assureur formulée avant la clôture des débats, pour accorder, en application des règles du droit civil, réparation de tous les dommages résultant des faits qui ont fondé la poursuite ».

Ainsi, faute d’avoir développé devant le Juge répressif tous les moyens de nature à permettre son indemnisation, la victime se voit refuser toute nouvelle action devant la juridiction civile, et ce, au visa de l’article 1351 du Code Civil tel que revisité par la Cour de Cassation.

La leçon à tirer de l’arrêt de l’Assemblée plénière du 7 juillet 2006 est claire : le Superflu devient chose très nécessaire et le praticien ne devra plus hésiter à empiler les « subsidiaires ».

Ø Mais du moins, à défaut de bénéficier d’une seconde chance, pourra-t-il compter sur le secours préventif du Juge.

Après tout, l’article 12 du Code de Procédure Civile n’énonce-t-il pas, en forme de truisme, qu’il (le juge) « tranche le litige conformément aux règles de droit qui lui sont applicables ».

Si donc les parties ont avancé un fondement juridique inadéquat, n’est-il pas tenu de leur « sauver la mise » en restituant le fondement approprié, et en tranchant ainsi le litige « conformément aux règles de droit qui lui sont applicables » (sauf à respecter le principe du contradictoire).

C’est ici qu’intervient le second arrêt d’Assemblée plénière rendu le 21 décembre 2007 dans une espèce assez classique : une partie avait assigné son garagiste sur le fondement de la garantie des vices cachés. Elle avait été déboutée, et le pourvoi en cassation reprochait à la Cour d’Appel, tenue de donner ou de restituer leur exacte qualification aux faits et actes litigieux de n’avoir pas recherché si l’action pouvait être fondée sur un manquement à l’obligation de délivrance.

L’Assemblée plénière rejette le pourvoi en ces termes :

« Attendu que si, parmi les principes directeurs du procès, l’article 12 du Nouveau Code de Procédure Civile oblige le juge à donner ou restituer leur exacte qualification aux faits et actes litigieux invoqués par les parties au soutien de leurs prétentions, il ne lui fait pas obligation, sauf règle particulière, de changer la dénomination ou le fondement juridique de leurs demandes ; qu’ayant constaté, par motifs propres et adoptés, qu’avait été saisie d’une demande fondée sur l’existence d’un vice caché dont la preuve n’était pas rapportée, la Cour d’Appel, qui n’était pas tenue de rechercher si cette action pouvait être fondée sur un manquement du vendeur à son obligation de délivrance d’un véhicule conforme aux stipulations contractuelles, a légalement justifié sa décision de ce chef ».

Parmi les arguments avancés par l’Avocat général en faveur de la solution retenue figurait la crainte de voir engager la responsabilité du Juge, crainte qu’il formulait en ces termes :

« Une telle obligation générale d’examiner tous les moyens de droit ayant vocation à fonder la demande pourrait permettre, dans biens des cas, d’engager la responsabilité du Juge pour manquement à cette obligation.

A un moment où, précisément, est remise en avant la responsabilité du Juge et où a été évoquée la possibilité de l’étendre sous certaines conditions à l’activité juridictionnelle elle-même, on ne peut pas sous-estimer les conséquences qu’une telle obligation générale pourrait engendrer et les risques de recours multiples qu’elle pourrait susciter ».

Il est vrai qu’il eût été assez piquant de voir un plaideur rechercher la responsabilité in solidum de son avocat et de son juge, le premier pour n’avoir pas tout dit, le second pour avoir laisser faire.

En l’état, et pour ce qui concerne le « nouvel et inchangé » article 1351 du Code Civil, la boucle est bouclée : le praticien fera bien de ne compter que sur lui-même….., sans perdre de vue que « le juge peut relever d’office la fin de non recevoir tirée ….. de la chose jugée » (art. 125 al. 2 du Code de Procédure Civile).

Monsieur le Bâtonnier Patrick CUMIN
Avocat au Barreau de Villefranche-sur-Saône