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Liberté d’expression : devoir de mémoire et de précision – Me Michel DESILETS – (Le Patriote Beaujolais N°809 du 24 Février 2011)

Liberté d’expression : devoir de mémoire et de précision

Pour relater l’histoire sans la déformer, l’historien doit l’illustrer avec des éléments d’époque, sans pouvoir, même par inadvertance les détacher de leur contexte.

A défaut, il s’expose à la critique et à la sanction.

Le Centre de la Mémoire d’Oradour-sur-Glane l’a également appris à ses dépens, à l’occasion d’une exposition permanente.

Les faits étaient simples et aucune mauvaise foi ne pouvait être reprochée aux initiateurs de l’exposition.

Celle-ci comprenait une photographie montrant un industriel français en présence du chancelier allemand HITLER et de GOERING, en charge de la propagande sous le libellé : « la collaboration des entreprises ».

Ainsi, la photographie était censée montrer pendant l’occupation la collaboration de certaines forces vives de la nation avec le régime nazi.

Le commentaire se poursuivait en attribuant aux sociétés gérées par l’industriel l’activité de fabrication de blindés pour l’occupant.

Cette présentation était suivie pour les visiteurs du rappel des atrocités commises par les nazis au mois de juin 1944 après le débarquement en Provence.

Tout naturellement, les visiteurs liaient les deux évènements rendant le second possible du fait du premier.

Les ayants droit de l’industriel ont agi en référé, au motif que l’expression donnée à la photographie était abusive.

L’argument paraissait audacieux au point qu’il n’a pas convaincu les premiers juges.

Il en alla tout différemment en appel.

En effet, la photographie avait été prise avant l’ouverture des hostilités, alors que la France et l’Allemagne étaient encore en paix, les accords de Munich venant d’être signés.

L’illustration avait été réalisée au salon de l’automobile de Berlin.

Il n’y avait encore aucun accord entre l’Allemagne nazie et les sociétés gérées par l’industriel photographié.

Dans ces conditions, le Centre pour la Mémoire d’Oradour-sur-Glane ne pouvait qu’être objectivement condamné par la Cour d’Appel de Limoges.

Son arrêt retient que le visiteur ne disposant pas de manière générale de connaissances historiques approfondies, les mentions figurant sous la photographie assorties de leurs commentaires dénaturent les faits.

Le préjudice porté à la mémoire de l’industriel et à ses ayants droit constitue un trouble manifestement illicite.

En conséquence, le retrait de la photographie en cause et de son commentaire a été ordonné sous astreinte.

L’argument des premiers juges suivant lequel il pouvait être démontré que postérieurement, les usines de l’industriel en question avaient effectivement participé dans le cadre de la collaboration ce qui exclurait ainsi tout risque de confusion et d’amalgame même si la photographie a été prise à une époque où de tels reproches ne pouvait lui être fait, n’est pas retenu.

Juridiquement la décision de la Cour d’appel se justifie parce qu’elle s’attache à resituer une vérité historique.

Elle permet de rappeler que les informations doivent toujours être vérifiées et ne pas être diffusées avec désinvolture ou négligence.

Ainsi une photographie sortie de son contexte ne peut venir confirmer des faits même exacts qui se sont produits après à sa réalisation.

Michel DESILETS
Avocat au barreau de Villefranche