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Les nouvelles relations fournisseurs distributeurs après la loi du 3 janvier 2008 : avancée ou intermède provisoire? – Maître Jean-Jacques BIOLAY (Le Tout Lyon en Rhône-Alpes, 19-25/04/2008, p.81)

Publiée le 4 janvier dernier, la loi n° 2008-3 pour le développement de la concurrence au service des consommateurs a de nouveau modifié l’économie des relations fabricants-distributeurs en précisant notamment les conditions que doivent remplir les accords de collaboration commerciale qui ont du être été conclus avant le 1er mars 2008, ou qui le seront dans les deux mois suivant l’ouverture de nouvelles relations commerciales en 2008.

La complexité des normes régulatrices héritées en dernier lieu de la précédente loi du 2 août 2005 en faveur des petites et moyennes entreprises, est heureusement un peu simplifiée malgré les acrobaties textuelles   auxquelles oblige la recherche constante d’un hypothétique   rééquilibrage des relations entre l’industrie et le commerce dont les conflits d’intérêts paraissent toujours aussi irréductibles ([1]).
Ces mesures  ne paraissent pas susceptibles de modifier la situation actuelle sans une plus grande intervention de l’administration en la matière.
Il est en effet notoire que les fournisseurs souvent placés en situation de dépendance vis-à-vis des distributeurs ne peuvent que très rarement faire valoir leurs droits à l’encontre de ces derniers. Les agents de la Direction générale de la Concurrence de la Consommation et de la répression des Fraudes ( DGCCRF ) sont donc souvent appelés à venir au secours des victimes de pratiques commerciales abusives susceptibles de ruiner les entreprises à plus ou moins long terme.
La législation mise en place facilite la mission des services de contrôle en multipliant les écrits susceptibles de faire preuve et en rétablissant les sanctions transactionnelles supprimées en 1986.

I.- Une prolifération des écrits apparemment simplifiés

La loi du 2 août 2005 imposait déjà aux partenaires économiques l’élaboration d’un grand nombre de contrats, dont le contenu a été simplifié par le nouvel article L. 441-7, I précité du code de commerce ([2]) et dont l’absence continue d’être pénalement sanctionnée par le II du même article . A partir du 1er mars 2008 (ou dans les deux mois suivant la première commande passée en cours d’année) , les services rémunérés au titre de la collaboration commerciale (énumérés par l’article L.441-7 du code de commerce) doivent, sous peine d’une amende pénale de 75.000 euros, faire l’objet d’un seul et même écrit , ou d’un contrat cadre annuel assorti de contrats d’application, ( à l’exclusion des produits agricoles périssables).

Contrat-cadre .- Les accords de coopération commerciale doivent obligatoirement prendre la forme d’un contrat de base, obligatoirement conclu au début de chaque année civile ou dans les deux mois suivant toute nouvelle relation commerciale.
L’exigence d’un écrit fixant les conditions de la collaboration commerciale n’est pas nouvelle ([3]) mais elle s’entoure d’un formalisme simplifié : l’accord qui peut résulter d’un document unique précise la l’objet, la date et les modalités des obligations, ainsi que leur rémunération
Pour les besoin des calculs rendus obligatoires par la loi, et notamment du calcul du seuil de la revente à perte,   les avantages consentis au distributeur paraissent devoir être exprimés en pourcentage du prix unitaire net du produit auquel ils se rapportent, dans des conditions qui appelleront certainement des précision administratives.
Il semble en effet que maintien de la définition actuelle du prix d’achat effectif ( « le prix d’achat effectif est le prix unitaire figurant sur la facture (…) ») empêche qu’une   réduction de prix ne soit concentrée par un distributeur sur un seul produit afin d’obtenir un seuil de revente à perte anormal.
Contrats d’application.- Le contrat cadre de coopération commerciale peut, selon le la nouvelle rédaction de de l’article L. 441-7 I du code de commerce précité, être complété par des contrats d’application dont l’absence est sanctionnée par la peine d’amende de 75.000 euros.
La prudence commandera donc aux partenaires commerciaux de conclure d’une part un contrat de base précisant la nature des services de collaboration commerciale convenue et d’autre part des accords d’application précisant la nature, la rémunération et les produits de rattachement de tels services.
S’il peut s’avérer utile en termes de transparence tarifaire, cet excès de formalisme ne paraît pas de nature à simplifier la vie des entreprises.

Autres écrits.- Le distributeur doit annuellement faire connaître à ses fournisseurs, sous peine de sanction pénale (art. L. 441-7 4°) avant le 31 janvier de chaque année le montant total des rémunérations se rapportant à l’ensemble des services rendus l’année précédente, exprimé en pourcentage du chiffre d’affaires pour chacun des produits auxquels ils se rapportent .
La précision des informations requises par le texte ne paraît pas pouvoir éviter, pour établir la preuve de cette communication, la rédaction d’un écrit. On a toutefois du mal à comprendre l’intérêt d’une telle information, superflue en raison de la facturation dont ces services doivent obligatoirement faire l’objet ([4]).

Tous les documents requis par la loi ne présentent pas de grand intérêt du point de vue de la transparence dans les relations entre vendeurs et acheteurs, puisqu’ils ne sont pas communicables aux tiers.
Les agents de l‘administration peuvent en revanche en prendre connaissance, sur leur demande, ce qui constitue le principal intérêt – probatoire – des écrits exigés.
Ils déterminent, limitativement, les conditions de vente faisant application des conditions générales de vente du fournisseur ( toujours considérées comme le « socle » des relations commerciales) , les conditions particulières de commercialisation (anciennes coopération commerciale) et des conditions de rémunération par le fournisseur de services distincts dont la nature demeure énigmatique pour qui se soucie de l’interdiction des avantages discriminatoires.

II.- Des sanctions pénales subordonnées aux contrôles administratifs

La régulation des relations fabricants – distributeurs – particulièrement complexe- n’ont jusqu’ici pas fait pas l’objet d’une application très rigoureuse, les infractions étant rarement sanctionnées ([5]). La relation de subordination existant souvent entre fournisseurs et distributeur expliquant par ailleurs la relative rareté des contentieux déclarés. Pour y remédier et afin d’assurer l’effectivité de la règle de droit, comme la nécessaire restitution au consommateur des avantages consentis par les fournisseurs aux détaillants, la loi du 3 janvier 2008 confirme les pouvoirs d’intervention de l’administration habilitée à mettre en oeuvre des procédures simplifiées :

Pouvoirs de l’administration : On pouvait croire disparue l’ancienne possibilité donnée à l’administration de transiger avec le délinquant sur le montant des amendes susceptibles d’être infligées à raison d’une violation de la réglementation économique. Dans le passé, les critiques n’avaient en effet pas manqué de se déchaîner contre l’exercice de ce pouvoir occulte, jugé attentatoire aux prérogatives du juge. Ressuscitée par la loi du 2 août 2005 au nom d’une modernisation qui renoue paradoxalement avec les traditions du passé, le pouvoir transactionnel accroît considérablement les prérogatives de la DGCCRF en évitant il est vrai aux entreprises poursuivies une contre-publicité dont elles ont tout intérêt à se passer.

Transaction.- Aux termes de l’article L.470-4-1 du Code de commerce ([6]), l’autorité administrative chargée de la concurrence et de la consommation (il s’agit actuellement de la DGCCRF) a le droit de transiger après accord du procureur de la République.
L’autorité compétente est le directeur départemental de la Concurrence et de la consommation.
Cette faculté présente évidemment un intérêt pratique et permet d’envisager une sanction plus efficace des délits prévus par le titre IV du livre IV du Code de commerce – pour lesquels une peine d’emprisonnement n’est pas encourue – dont la liste est impressionnante ([7]).
Les infractions sont constatées dans les conditions prévues par l’article L. 442-8 du Code de commerce, de telle manière que la même autorité, après avis favorable du procureur de la République est simultanément habilitée à poursuivre et à sanctionner, par exception à la théorie de la séparation des pouvoirs chère aux juristes dont les principes généraux sont il est vrai de plus en plus mis à mal par la législation moderne.

Par ailleurs se posera la question des constitutions de partie civile dont toujours possible même après transaction ([8]) mais qui souffre nécessairement du secret qui entoure cette dernière.

Citation directe.- Aux termes de l’article L. 470-4-3 du Code de commerce, les agents de la DGCCRF peuvent être habilités par le procureur de la République à assigner directement le prévenu devant le tribunal correctionnel lorsqu’une peine d’emprisonnement n’est pas encourue. Le dispositif permet de faire l’économie de l’assignation par huissier et renforce – s’il en était encore besoin – les pouvoirs répressifs de la DGCCRF.

Composition pénale.- Aux termes du nouvel article L. 470-4-2 du Code de commerce ([9]), la composition pénale prévue à l’article 41-2 du code de procédure pénale est applicable aux personnes morales qui reconnaissent avoir commis un ou plusieurs délits prévus au titre IV du présent livre pour lesquels une peine d’emprisonnement n’est pas encourue. Ccette procédure simplifiée, dont la constitutionnalité n’est pas douteuse ([10]),   permet au juge de faire l’économie d’une audience en se prononçant par ordonnance.
Le procureur de la République peut proposer la composition pénale à l’auteur des faits par l’intermédiaire d’un fonctionnaire de la DGCCRF, renforçant encore le rôle   de cette administration.

En définitive, la loi du 2 août 2005 modifiée par la loi du 3 janvier 2008 laisse à l’administration, sous le contrôle du juge, d’importantes responsabilités dans l’équilibrage des rapports entre industriels et commerçants.
La modernisation de l’économie qui devra au printemps prochain faire l’objet d’une nouvelle loi parviendra-t-elle enfin à satisfaire les intérêts divergents du monde économique, y compris ceux des consommateurs ( dont dépend en fin de compte le développement de la croissance ) ?

S’il est permis d’en douter, rien n’interdit d’espérer.

Maître Jean-Jacques BIOLAY
Avocat au Barreau de Villefranche-sur-Saône

[1]              ) E. Voisset, Réforme des relations commerciales : modernisation ou retour à la case départ ? Petites affiches 9 mai 2005 n°91, p.3.- M.GLAIS, Des structures du marché responsables des dérives constatées dans le jeu des relations fournisseurs/distributeurs in Pratiques de la distribution : La réforme impossible ?: Petites Affiches 1er juill.2005, n°130, p.40.- S.RETTERER, La restauration de l’équilibre des relations commerciales entre fournisseurs et distributeurs dans la grande distribution : D. aff. 2003, chr. p. 1210.- D.FERRIER, J.L. GERARD et F.MALATERRE, Les relations Industrie-commerce après le circulaire Dutreil : Cah.dr.Entr. 2003-5, p.37.- A. TARGA, Pratiques restrictives de concurrence : complémentarité des textes et nouvelle donne des relations industrie-commerce : Rev. conc. consom. 1994, n° 78, p. 29 .- J.J. Biolay, Les relations entre l’industrie et la grande distribution : Petites affiches 17 avr. 1991, n° 46, p. 4.- – J. Tieffry, Des relations commerciales transparentes : Gaz. Pal. 1984, 2, doctr. 323.
[2]              ) art. L. 441-7 I: «Le contrat de coopération commerciale indiquant le contenu des services et les modalités de leur rémunération est établi, avant leur fourniture, soit dans un document unique, soit dans un ensemble formé par un contrat cadre annuel et des contrats d’application.
Chacune des parties détient un exemplaire du contrat de coopération commerciale.
Le contrat unique ou le contrat cadre annuel est établi avant le 15 février. Si la relation commerciale est établie en cours d’année, ces contrats sont établis dans les deux mois qui suivent la passation de la première commande.
Le contrat unique ou les contrats d’application précisent la date à laquelle les services sont rendus, leur durée, leur rémunération et les produits auxquels ils se rapportent.
Dans tous les cas, la rémunération du service rendu est exprimée en pourcentage du prix unitaire net du produit auquel il se rapporte.
[3]              ) Cass. crim., 4 févr. 1991 : Gaz. Pal. 1991, 1, p. 299, note D. Bayet
[4]     ) Voir Jurisclasseur Concurrence-consommation, fasc. 285, refonte 2005 en cours
[5]     ) Voir notamment avis n° 364 de M. Christian Cambon, Sénat 1er juin 2005
[6]              ) Article L470-4-1 C. com. (inséré par Loi nº 2005-882 du 2 août 2005 art. 44 Journal Officiel du 3 août 2005) : « Pour les délits prévus au titre IV du présent livre pour lesquels une peine d’emprisonnement n’est pas encourue, l’autorité administrative chargée de la concurrence et de la consommation a droit, tant que l’action publique n’a pas été mise en mouvement, de transiger, après accord du procureur de la République, selon les modalités fixées par décret en Conseil d’Etat.L’acte par lequel le procureur de la République donne son accord à la proposition de transaction est interruptif de la prescription de l’action publique.L’action publique est éteinte lorsque l’auteur de l’infraction a exécuté dans le délai imparti les obligations résultant pour lui de l’acceptation de la transaction. »
[7]              )Figurent dans cette liste : les infractions à la publicité des réductions de prix à l’égard du consommateur (art.L. 441-2 C.com.), les infractions aux règles de facturation (L. 441-4), les infractions aux délais de paiement (art.L. 441-6 et L.443-1), les ventes à perte ( art. L. 442-2) les pratiques de prix imposés (art.L. 442-5)
[8]              ) Cass. Crim. 22 janv. 1970
[9]              ) Article L470-4-2 C. com. (inséré par Loi nº 2005-882 du 2 août 2005 art. 46 : JO 3 août 2005)
I.-La composition pénale prévue à l’article 41-2 du code de procédure pénale est applicable aux personnes morales qui reconnaissent avoir commis un ou plusieurs délits prévus au titre IV du présent livre pour lesquels une peine d’emprisonnement n’est pas encourue ainsi que, le cas échéant, une ou plusieurs contraventions connexes. Seule la mesure prévue par le 1º de l’article 41-2 du même code est applicable à ces personnes.
II- Pour les délits mentionnés au I, le procureur de la République peut proposer la composition pénale à l’auteur des faits par l’intermédiaire d’un fonctionnaire mentionné au quatrième alinéa de l’article L. 450-1 du présent code.
[10]    ) Cons. Constit. Dec. n° 2002-461, 29 août 2002 concernant la loi n° 2002-1138 du 9 sept. 2002 d’orientation et de programmation pour la justice.