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Fumer peut gravement nuire… au maintien de son emploi – Monsieur le Bâtonnier Michel DESILETS (Le Patriote Beaujolais n°683, 25/09/2008)

Le 1er juillet 2008 la Cour de Cassation a rendu plusieurs arrêts sanctionnant des salariés pour avoir fumé sur leurs lieux de travail.

On pourrait penser qu’il s’agit d’une conséquence de la loi récente interdisant de fumer dans les lieux accueillant du public, ou d’une nouvelle atteinte « hygiéniste » aux libertés individuelles.

Or, à l’analyse ce n’est pas le cas et les arrêts sont justifiés sur les fondements du droit du travail.

Dans deux espèces différentes, la Cour suprême a retenu que le fait de fumer dans l’entreprise constituait une faute grave.

La première décision concerne deux salariés qui avaient fumé, certes dans la salle prévue à cet effet, non pas une cigarette mais un joint.

La Cour casse l’arrêt d’appel qui avait décidé que les licenciements étaient dénués de cause réelle et sérieuse et avait condamné l’employeur au paiement de diverses sommes.

La juridiction d’appel avait retenu que si la réalité d’une consommation de substance illicite par les salariés au sein de l’établissement était établie, il appartenait à l’employeur de rappeler l’interdiction de fumer un « joint » par la notification préalable d’une sanction.

Au surplus, s’agissant d’un fait isolé, la perte d’emploi immédiate, sans mise en garde, apparaissait disproportionnée.

Cette décision est réformée, la Cour de Cassation retenant que la commission d’un fait fautif isolé peut justifier un licenciement, sans qu’il soit nécessaire qu’il ait donné lieu à un avertissement préalable.

La seconde décision est relative à un salarié d’une cartonnerie qui avait été surpris en train de fumer dans la salle de repos de l’entreprise.

Le règlement intérieur édictait une interdiction générale de fumer dans l’entreprise, la cartonnerie étant une installation classée, soumise à des impératifs renforcés de sécurité.

La Cour de Cassation approuve ici l’arrêt d’appel qui était soumis à sa censure.

Les arguments invoqués par le salarié, depuis 25 ans dans l’entreprise étaient que :

–      il avait fumé librement jusqu’au 1er janvier 2003, comme tous les fumeurs de l’entreprise, dépendant du tabac, sans possibilité de sortir de l’entreprise pendant son temps de pause pour aller « griller une cigarette » à l’extérieur,
–      l’employeur avait même refusé la mise en place d’un espace spécialement réservé aux fumeurs, ni n’avait pris d’initiative pour aider ses salariés dans le cadre d’une aide au sevrage.

Peine perdue, ces arguments sont rejetés.

Pour la Haute Juridiction, le salarié avait délibérément violé une interdiction générale de fumer portée à sa connaissance par affichage et par de nombreux panneaux disposés dans l’entreprise, ainsi que par une note interne de rappel mentionnant les sanctions encourues.

Le licenciement pour faute grave est donc confirmé.

Dans une troisième décision, la Cour de Cassation sans aller jusqu’à la faute grave retient néanmoins que le fait de fumer sur son lieu de travail peut constituer une cause réelle et sérieuse de licenciement.

Il était reproché à la salariée engagée en qualité d’aide à domicile de fumer pendant le travail, malgré l’interdiction énoncée par le règlement intérieur.

La preuve, et cela mérite d’être relevé, est rapportée par l’attestation de la responsable de la salariée, précisant l’avoir vu poser un paquet de cigarettes sur une table, dont il faut déduire qu’elle s’apprêtait à fumer.

Mais cette attestation seule aurait été insuffisante si elle n’avait été complétée par le témoignage d’une autre personne chez qui la salariée travaillait, selon laquelle la salariée fumait pendant son service.

La cour de Cassation relevant que la salariée se trouvait dans un processus d’intégration professionnelle, c’est-à-dire dans une situation de relative fragilité sociale et personnelle, n’a pas retenu à son encontre la faute grave privative de certaines indemnités.

C’est aussi l’absence d’avertissement antérieur qui conduit à la confirmation du licenciement mais seulement pour cause réelle et sérieuse.

Toutes ces décisions apparaissent parfaitement justifiées bien qu’elles puissent également paraître extrêmes dans leurs conséquences.

C’est pourquoi, la plus grande vigilance doit être recommandée, car il serait extrêmement périlleux de penser qu’on ne risque rien tant que le premier avertissement n’a pas été reçu.

C’est encore l’occasion pour les salariés de relire le règlement intérieur, et pour les employeurs d’en établir un si l’entreprise n’en possède pas encore.

Monsieur le Bâtonnier Michel DESILETS
Avocat au Barreau de Villefranche-sur-Saône